De quoi le temps est-il le nom ?
Qu’est-ce que le temps ? La quête de compréhension du temps, cette dimension insaisissable qui rythme nos vies, a toujours captivé les esprits philosophiques. Cependant, son défi demeure : définir …
Qu’est-ce que le temps ? La quête de compréhension du temps, cette dimension insaisissable qui rythme nos vies, a toujours captivé les esprits philosophiques. Cependant, son défi demeure : définir le temps reste une énigme complexe dans le monde de la pensée.
Variable indispensable de la description des phénomènes naturels, le temps fait émerger des questionnements de nature physique, métaphysique tout à la fois. Le temps est-il circulaire ou linéaire ? L’histoire de l’Univers a-t-elle un début et une fin ? Se déploie-t-elle au contraire dans un éternel retour ?
Dans Physique, Aristote apporte une première définition du temps, qui servira de base aux sciences naturelles, et sera ensuite reprise par Descartes et reformulée mathématiquement par Newton. Cette description physique, qui s’appuie sur la comparaison entre une antériorité et une postériorité, suggère que le temps existe indépendamment de l’observateur, et peut-être indépendamment des événements observés.
Le temps existe-t-il par lui-même ? Deux points de vue permettent d’apporter des éléments de réponse à ce grand questionnement. La perspective substantialiste compare le temps à un tunnel dans lequel s’écoulent les évènements, et suggère donc que le temps possède sa propre substance, qu’il existe par delà les changements. La perspective relationniste au contraire postule que le temps n’est qu’une entité secondaire qui émane des relations entre événements.
Le temps existe-t-il en dehors de la conscience ? La théorie de l’Univers-Bloc est justement une conception qui propose que le passé, le présent et le futur existent simultanément, et que le temps n’est que la conséquence de l’existence d’une conscience, et des variations de sa perception. Cette vision de l’univers pose un problème que souligne le Paradoxe de l’Ancestralité : comment le monde a-t-il pu opérer des milliards d’années de transformations avant même l’apparition de la conscience ?
Dans le livre XI des Confessions, Saint-Augustion formulait ce célèbre paradoxe : « Qu’est-ce donc que le temps ? Si personne ne me le demande, je le sais; mais si je veux l’expliquer à celui qui me le demande, je ne le sais pas. » Nous ne cessons de faire référence au temps dans notre langage quotidien, et bien que les descriptions physiques du temps s’affinent, nous échouons perpétuellement à le définir, à révéler sa nature.
Pour les uns, le temps peut être assimilé à une flèche, et être pensé comme un simple ordre entre une antériorité et une postérité, ce qui permet d’étudier le temps avec objectivité et d’établir des lois physiques généralisables. Toutefois, cette compréhension objective du temps ne fait aucune référence ni à l’instant présent, ni à la conscience d’un observateur.
Pour les autres, le temps est assimilable à un fleuve, et doit être pensé comme un passage d’un état conscient à un autre, le transit d’un futur imaginé à un présent vécu, et d’un présent vécu à un souvenir du passé. C’est cette compréhension du temps qu’adoptent les phénoménologues, comme Bergson ou Hurssel, lorqu’ils entendent étudier l’esprit humain en ignorant le temps physique. Toutefois, si elle permet d’intégrer la subjectivité, cette conception occulte la description du passé et du futur en ce qu’elle les assimile à un état de conscience appartenant au présent.
Un gouffre demeure donc entre les idées objective et subjective que nous avons du temps. Ces deux perceptions alimentent le débat philosophique et permettent de le décrire au travers de la psychologie comme de la physique. Cependant, pour ce qui est d’établir une définition exhaustive du temps, nous demeurons dans l’embarras : ses deux conceptions sont à la fois inconciliables et, lorsqu’on les considère isolément, réductionnistes.
Est-il même possible d’arriver à une définition du temps ? N’est-il pas intrinsèquement inintelligible ? Le philosophe Colin McGinn défend sur ce point la thèse du « néo-mystérianisme » et affirme que, les capacités cognitives de l’espèce humaine étant naturellement limitées, une partie de la réalité échappe à notre compréhension. Ainsi, bien que la résolution ne soit pas impossible en elle-même, nous serions enfermés dans une « clôture cognitive », laquelle rendrait les relations entre temps et conscience insolubles pour un esprit humain.
Parmi les barrières de notre cognition, la pauvreté du langage pour parler du temps peut être pointée du doigt. En effet, nos langues restent limitées par la simplicité de leur conjugaison, relativement à l’immense complexité de la temporalité, ainsi que par l’ambiguïté de leurs vocables. Par ailleurs, certaines langues ne possèdent pas de système de conjugaison, c’est le cas notamment du Chinois traditionnel. Plus encore, le Pirahãs, parlé par certaines populations de chasseurs-cueilleurs d’Amazonie, ne présente aucun système numéraire, ce qui exclut l’usage des horloges ou des calendriers, et rend leur conception du temps radicalement différente de la nôtre.
La physique elle-même emploie son propre langage : le symbolisme mathématique. Cette dialectique hautement formalisée a permis de s’affranchir en partie du caractère équivoque du langage philosophique, et d’intégrer une quantité colossale de données dans les raisonnements scientifiques. Que peut donc nous apprendre ce langage sur le temps ?
En 1905, la théorie de la relativité restreinte, développée par Albert Einstein, bouleverse le concept classique du temps, et invalide par la même occasion la théorie Newtonienne. Le temps était considéré jusqu’alors comme dématérialisé, sans vitesse d’écoulement, ne dépendant de rien, pas même de lui-même. On découvre alors que le temps et l’espace sont interdépendants, et que le temps s’écoule différemment en fonction des conditions physiques auxquels nous sommes exposés. De même, la mécanique quantique défie notre vision intuitive du temps et soulève de nouveaux problèmes philosophiques.
Comment la physique peut-elle bouleverser notre idée du temps ? Dans quelle mesure est-elle légitime à parler du temps ?
Etienne Klein répondra à ces questionnements lors d’un cycle de trois conférences, où il fera dialoguer philosophie et physique, ces deux disciplines qui l’ont animé tout au long de sa carrière.