Marcet Gauchet, Hegel : la découverte de l’histoire
Le sens peut désigner la signification, la dénotation d’un mot ou d’une phrase, par exemple dire que « cette table est rouge » signifie que nous attribuons à cet objet que nous voyons la qualité d’être de couleur rouge.
L’histoire a-t-elle un sens ?
Le sens peut désigner la signification, la dénotation d’un mot ou d’une phrase, par exemple dire que « cette table est rouge » signifie que nous attribuons à cet objet que nous voyons la qualité d’être de couleur rouge. Le sens peut aussi s’appliquer à une action et désigner alors une intention, c’est l’acception du « sens » comme la fin que l’on vise en tant qu’agent. On le voit, la signification et la fin peuvent être liées, et le sont même souvent : on tend à identifier la fin d’une action lorsqu’on interroge sa signification. Or, est-il possible de révéler dans le cours de l’histoire humaine une tendance générale, un mouvement plus ou moins homogène tel qu’on serait en mesure d’identifier une « fin » de l’histoire ? Si les actions et les événements qui s’enchaînent dans l’écoulement du temps étaient déterminés de manière unitaire et tournés vers une fin, alors nous pourrions effectivement identifier un « sens » dans l’histoire. Le premier travail dont une « philosophie de l’histoire » devrait s’acquitter serait alors de démontrer la continuité et l’homogénéité des événements dans le temps, afin d’y déceler une unité. Lorsque Hegel introduit sa philosophie de l’histoire, il le fait à partir d’une considération qui paraît simple mais qu’il va s’agir de saisir dans toute sa profondeur : comme il l’écrit dans La raison dans l’histoire, « la seule idée qu’apporte la philosophie est la simple idée de la Raison – l’idée que la Raison gouverne le monde et que, par conséquent, l’histoire universelle s’est elle aussi déroulée rationnellement ». La raison gouverne l’histoire, voilà son unité. Mais comment alors ne pas reprocher à la philosophie d’aborder l’histoire avec des idées préconçues, nommément celle de « Raison », pour la plaquer toute faite sur le phénomène considéré ? Tout simplement parce que « tout ce qui est humain » – et l’histoire est cet élément nouveau qui redéfinit le monde humain-social – « si c’est humain et pas animal, contient de la pensée, et cette pensée se trouve impliquée chaque fois qu’on considère l’histoire ». Pour le dire autrement, tout ce qui est humain a nécessairement une dimension rationnelle, que ce soit à l’échelle individuelle ou collective, et les sociétés (ce que Hegel nomme les « Peuples ») peuvent être assimilées à des agents rationnels qui, parce qu’ils agissent en vue de certaines fins, font que l’histoire humaine se soumet à une analyse rationnelle. Nous allons voir avec Marcel Gauchet en quoi ce concept de « Raison dans l’histoire » chez Hegel n’est pas aussi désuet qu’on pourrait le croire, notamment parce qu’il redéfinit la manière dont l’humanité européenne va se comprendre elle-même et se rapporter au monde. En effet, si la philosophie nous apprend que l’histoire a un sens et que nous en sommes les acteurs, alors elle nous oriente vers une prise de conscience de l’héritage qui nous vient de notre passé et de la responsabilité qui est la nôtre à l’égard de l’avenir et des générations futures.
Luc Garo Salé, professeur agrégé de philosophie