3 semaines après le meurtre de Samuel Paty, par Agathe Novak-Lechevalier
En vous proposant de réfléchir à la question de l’enseignement à l’heure de ChatGPT, nous avons eu envie d’un rendre une nouvelle fois hommage à Samuel Paty, professeur engagé et courageux, 4 ans après son assassinat et quelques jours avant la clôture du procès d’assises.
Le texte ci-dessous a été rédigé le 10 novembre 2020, 3 semaines après le meurtre de l’enseignant, par Agathe Novak-Lechevalier, professeur de littérature.
2020. Et voilà que nous nous battons pour le respect de la laïcité et la liberté d’expression. Voilà que nous devons plaider leur cause ; voilà que nous devons ardemment les défendre. Voilà que certains meurent pour elles, voilà qu’on tue pour les ruiner. Pour la dix-neuviémiste que je suis, c’est étrange. Les discours enflammés de Hugo par exemple – les discours contre la censure, le discours contre la loi Falloux… – je les ai étudiés très jeune, et cela m’emportait. Il me semblait entendre les échos très lointains d’un grand combat épique qui depuis plus d’un siècle avait été gagné. Les géants avaient disparu ; mais les luttes étaient terminées. Non. Nous y revoilà. « En un peu pire », comme dirait un auteur qui m’est cher. Parce qu’il est sans doute et paradoxalement plus difficile de protéger un droit et d’en garantir l’existence, que de se battre pour le conquérir. Il nous manque aujourd’hui l’élan, et parfois la hauteur de vue. Bien souvent nous nous déchirons et nous oublions l’essentiel : « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme » ; et dans la République laïque, les seules limites à la liberté de pensée sont posées par les lois démocratiques – et jamais par un dogme religieux, quel qu’il soit. Il est devenu difficile de compter les attentats contre nos libertés dans leur ensemble et contre notre modèle politique républicain : il y a eu Toulouse et l’école Ozar Hatorah, il y a eu Charlie, il y a eu l’Hyper Cacher, et puis le Bataclan, et les terrasses, et Nice, et Rouen, et maintenant Samuel Paty, et Nice encore… Terrible litanie. Et nous n’en avons pas fini, c’est une longue lutte qui s’annonce. Or, que pouvons-nous faire ? On l’a dit bien des fois, depuis l’assassinat de Samuel Paty : en s’attaquant à l’école, en tuant un professeur, le terrorisme islamiste s’en prend à la source de nos libertés, il vise ceux qui les font vivre et qui tentent chaque jour d’en garantir le fragile avenir. Les professeurs ne sont pourtant pas seuls dans ce combat : leur tâche nous incombe à tous. Peut-être revenait-il à des voix de géants d’instaurer nos libertés ; aujourd’hui cependant, les temps ne sont plus aux discours. La liberté de pensée, en particulier, se décrète moins qu’elle ne se pratique – et il nous faut la pratiquer activement, de nos jours. Ne pas la faire valoir seulement à l’école ; mais partout, et pendant toute notre vie. Cela a été, très longtemps, notre droit ; depuis quelques années, c’est devenu bien malgré nous notre devoir. Alors défendons-la, exerçons-la, diffusons-la ; avec vigilance, et constance, et ténacité – sans relâche, toujours…