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Article paru sur le site de Libération

Il n’y a pas d’alternative à l’humanisme

Les réactions des Etats face à la pandémie ont montré que le sort des populations a été considéré comme plus important que celui de l’économie. Il faut poursuivre dans cette voie et renforcer les solidarités internationales.

Nous vivions avec la peur de l’après-demain : le réchauffement climatique qui menaçait l’humanité mettait en péril l’avenir des plus jeunes d’entre nous. Nous vivons aujourd’hui avec la peur au ventre : la pandémie qui s’est abattue sur l’humanité menace dès aujourd’hui la vie des plus anciens d’entre nous. Nous vivions avec une certitude. La mondialisation, qui a sorti quelques dizaines de millions d’hommes de l’extrême pauvreté en Asie (c’était sa face heureuse), a aussi condamné au chômage ou à la précarité une partie des classes populaires ou des classes moyennes des pays occidentaux, et accroît chaque jour les inégalités planétaires, régionales et sociales. C’est la face sombre de la mondialisation, que confirme chaque jour la pandémie : elle révèle notre dépendance économique (masques, molécules pharmaceutiques, etc.), notamment aux pays asiatiques. Et si la pandémie dissimulait aussi la face heureuse de la mondialisation ?

Contre la pandémie, deux solutions étaient possibles. La «voie réaliste» dite de «l’immunisation collective» consistait pour un pays à choisir de sauver son économie en sacrifiant une (faible) partie de sa population, la moins productive, en attendant que le virus cesse de se répandre. La «voie humaniste», celle du confinement, consistait à s’efforcer de sauver le maximum de vies humaines, en espérant que l’économie ne s’écroule pas en causant des désastres humains plus graves encore. Pourquoi la Chine, d’abord, a-t-elle choisi le confinement ? La solution de «l’immunité collective» était-elle possible ? C’est ce que n’auraient pas hésité à faire aujourd’hui la Corée du Nord, ou l’URSS de Staline ou la Chine de Mao. C’est même ce qu’ont fait ces deux dernières ! L’URSS au moment des grandes famines de 1931-1933 (8 millions de morts), ou la Chine au moment du Grand Bond en avant en 1958-1960 (50 millions de morts). Si la Chine de Xi Jinping a choisi la voie du confinement (au moyen, certes, d’un étroit contrôle policier de sa population), c’est parce qu’elle devait payer le prix de sa mondialisation : elle était devenue visible aux yeux du monde et ne pouvait donc pas se conduire comme une vulgaire Corée du Nord enfermée dans ses frontières. En admettant devant l’humanité entière que sa population faisait partie de l’humanité, elle acceptait en retour les obligations humaines que cela lui donnait vis-à-vis de sa propre population.

Dès lors, la «voie humaniste» du confinement était inévitable aussi en Europe lorsque la pandémie nous a atteints, nous qui, tout néolibéraux que nous soyons, nous targuons d’accorder un prix à chaque vie humaine, même improductive. Nous nous sommes donc confinés en obéissant à une sorte d’injonction mondiale à la voie humaniste : soit. Mais à présent, la mondialisation montre à nouveau sa face sombre. Car comment en sortir faute de vaccin mondialement accessible ? Nul pays ne le peut car, à supposer qu’il soit parvenu à se débarrasser de la maladie, il en demeurerait menacé par les pays qui ne seraient pas encore déconfinés, tant il dépend d’eux, économiquement, pour sa propre survie. (C’est l’actuel problème de la Chine).

Il est alors à craindre que nous soyons, cette fois, obligés d’attendre «l’immunisation collective» de toute l’humanité en comptant nos morts. Nous avions choisi la voie humaniste en nous confinant, nous serions contraints à la voie réaliste faute de pouvoir nous déconfiner de façon coordonnée.

A moins que la mondialisation ne nous montre à nouveau sa face heureuse. Nous nous sommes confinés, pays après pays et dans la désunion, mais nous ne pourrons nous déconfiner que dans l’union. Pourquoi la mondialisation ne permettrait-elle pas un sursaut de solidarité entre Etats ? Plus encore que le réchauffement climatique, la pandémie nous fait prendre conscience que nous formons une seule humanité. Seule cette conscience globale peut nous sauver. La voie humaniste est celle de la solidarité, que ce soit vis-à-vis des futures générations face au péril climatique, ou vis-à-vis des anciennes générations face aux dangers de la pandémie. Ce que la peur du réchauffement, apparemment trop lointaine ou trop abstraite, n’avait pas pu générer dans nos consciences, la peur de la pandémie présente et concrète devrait pouvoir le susciter. La solidarité entre Etats européens, et puis entre continents, n’est plus seulement une question éthique, c’est une question de survie.

Aujourd’hui, l’admirable coopération entre scientifiques du monde, demain peut-être la circulation des masques et des respirateurs à l’échelle de l’Europe, ou mieux vers l’Afrique, et ensuite un vaccin ou des remèdes pour toute l’humanité, et après-demain – pourquoi pas ? – des systèmes de santé et de protection sociale planétaires alimentés par des assurances mutuelles mondiales… C’est irréaliste, dites-vous. Mais ne voyez-vous pas que la voie humaniste est aujourd’hui la seule voie réaliste ?

Francis Wolff 

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